D'un titre… à 20 lignes

Des titres de livre distribués au hasard. Il reste à écrire 20 lignes. À partir du contenu du livre, ou non. Créativité permise.


  Patricia Tassile
Pauvre de toi, Louise, pauvre de toi. Il est mort l’homme que tu aimais, pas toujours avec la même intensité il est vrai. C’est humain, non ? Parfois même tu te disais : « je ne l’aime plus ». Ça ne durait pas. Il avait l’art de ranimer la flamme. Il n’a pas toujours été fidèle. Toi non plus. Comme ce genre d’aventure arrivait tantôt à l’un, tantôt à l’autre, vous en avez souffert, tour à tour. Vous vous êtes disputés, vous vous êtes réconciliés, vous avez fait l’amour de nouveau, comme des fous.
À l’heure de la mort, tout le superflu s’envole. Le quotidien s’estompe. Il ne reste que l’amour. L’amour qui n’a plus de temps à perdre. Il y a un mois encore, l’amour avait tout le temps. Il ne s’exprimait pas tout de suite, il pensait avoir le temps. Tu aurais pu lui dire que malgré toutes les déchirures, tu l’aimais encore. Définitivement. Mais tu ne l’as pas dit.
Il aurait pu te dire qu’il en voyait une autre, depuis deux ans. Ce n’est que dans les derniers jours qu’il t’en a parlé. Ce n’était pas qu’une aventure comme les autres. Il a renoncé à elle quand il a su que leur histoire n’aboutirait pas. Et puis, a-t-il ajouté, je voulais rester fidèle à l’engagement que j’avais pris envers toi. Cet aveu t’a fait mal. Tu ne t’y attendais pas.
Tu l’as attrapé par les épaules, tu voulais le secouer, mais on ne secoue pas un homme rongé par la maladie. «Tu aurais dû quand même prendre le risque de tout m’avouer. Tu as eu peur de ma réaction ? C’est sûr que je t’aurais fait une scène épouvantable. Mais au bout du compte, j’aurais fini par accepter. À quoi ça sert de retenir quelqu’un qui a envie d’être ailleurs ? Rien à faire de ta fidélité, pas de cette façon. »
Tu te souviens, il a souri faiblement, le fil de sa vie n’allait plus tenir bien longtemps. Il a planté son regard dans le tien. Quel éclat dans ses yeux, chaque cil semblait auréolé de lumière. Il en émanait une douceur infinie, comme jamais auparavant.


Isabelle Slinckx
La ferme des grands-parents. Tu as rêvé d'y revenir pendant des années. Et puis jamais le temps, métro boulot dodo. Maintenant tu y es. Elle est vide bien sûr. Depuis combien de temps déjà... Tout est fermé, en un coup d'œil ça se voit. En t'approchant de la fenêtre, tu passes à côté de la mare. Zone humide. Plantes aquatiques et vers de terre qui se baladent et tiens, se reproduisent aussi, en cette espèce de masse un peu gélatineuse intrigante. Drôle de façon de faire des gosses. Le sexe façon ver de terre les amène-t-il à produire de la sérotonine ? Vous connaissez, c'est l'hormone du bonheur paraît-il. Toi tu connais mal. Dans l'angle entre cuisine et salle à manger, tu vois le porte-manteau accroché au mur. Les vestes de travail de papy. Même à travers la vitre salle, alourdie de toiles d'araignée tu vois qu'elles sont couvertes de poussière. Allez, tu y vas ? Vas-y. Après tout, tu as choisi de faire le détour par ici. Le carrelage à motifs géométriques. Tu voles jusqu'à la cuisine. Un seul regard et malgré la crasse accumulée durant l'absence, un premier souvenir te vient d'emblée ; l'odeur des gaufrettes... et puis l'image du blanc d'œuf savamment battu par Mamy pour que le four en fasse des meringues dont tu te serais empiffré jusqu'à en être malade. La crasse et la poussière. Oui, c'est toi qui avais hérité de la ferme. Mais après le suicide des parents, tu n'avais plus le cœur à rien et quand Papy et Mamy étaient eux aussi partis, dévorés de chagrin, tu n'étais venu qu'une seule fois, tout fermer soigneusement, laissant tout en l'état, intact.

Tu ne pouvais pas faire autrement à l'époque. Et maintenant ? Ta BM t 'attend à l'entrée de la cour. Tu l'entends ? Elle t'appelle, elle est la porte-parole de tout un monde, qui a été le tien, boulot, argent, couple, deuil, toujours garder la tête hors de l'eau...
Tiens, tu entends autre chose ? Le souffle du vent dans les peupliers ? Les souris qui couinent dans l'appentis ? Le chant mélancolique d'un lieu qui a été et ne demande qu'à être à nouveau ?


  Jeanne-Marie Hausman
Et flûte, flûte et reflûte !! Grosse maladroite ! Pourquoi tous ces objets t’échappent des mains sans cesse ? La tasse fétiche de tante Machin en mille morceaux sur le parquet. Tous ces petits éclats de porcelaine qui parsèment le sol te regardent ! Non, non, sûrement une illusion d’optique. Les tasses en porcelaine n’ont pas d’âme, elles ne peuvent pas te sonder jusqu’aux entrailles, Joséphine. Et pourtant, si tu les fixes encore un peu, peut-être que les pupilles froides vont à nouveau accrocher ton regard…
Éloigne-toi du carnage, Joséphine. Les lames du parquet craquent et crissent. La balayette, retrouve cette fichue balayette ! Tu pourrais au moins ramasser les fragments, les faire disparaître avant le retour de Patrick. Ce n’est pas que ce soit au-delà de tes compétences, mais tout t’échappe, non ? Les objets et le souvenir de leur emplacement, les émotions et le temps, la vie qui s’écoule en petits filets entre tes doigts gonflés.
Déjà dix-sept heures, le soleil a décidé de te jouer des tours, aujourd’hui, ma pauvre Joséphine. Ses rayons ont léché les planches blondes du parquet, se sont accrochées aux tessons de porcelaine et ont fait miroiter les jolies fleurs délicates comme des myriades de petits yeux malicieux. Et voilà qu’il te chatouille, ses faisceaux ont réussi à remonter le long de tes jambes potelées. Allez ma Jojo, arrête de rêvasser. Si Patrick rentre, il va encore te regarder avec pitié et sans rien dire, réparer tes bêtises. La balayette est sûrement posée à côté de l’évier de la cuisine. Tu la trouves si comique avec son long manche bricolé par l’incontournable Patrick. Les lames craquent et recrissent, tu vas pouvoir enfin te débarrasser de ces petites mirettes sournoises. Mon Dieu, que la terre est basse ! Tu manques de plus en plus de souplesse, ma Jojo. C’est aussi une question d’équilibre, trouver le bon angle, se pencher mais pas de trop. Oooh ! Aïe !
T’es une vraie cruche, Joséphine ! Le parquet craque et crisse, il sent bon la cire. Patrick, va encore te retrouver le nez dans les éclats de porcelaine, pauvre albatros tombé de ton fauteuil à roulettes.


François-Marie Gerard
« Rendez-vous dans huit jours à Toulanka. Tenzin et Natina, pour sortir de l’adolescence, attendent tes réponses. Ils cherchent l’âme me du monde, cette force bienveillante qui maintient l’harmonie de l’univers. Voici leurs questions. »

Ben tiens, en voilà une autre ! Comme si tu y connaissais quelque chose à l’harmonie de l’univers, toi, Ronny Lepauvre, inspecteur de police à Namur !

C’est vrai, des corps éteints, tu en as vu plus que le commun des mortels. Plus d’une fois, tu t’es demandé quel pouvait être le sens de notre existence. T’as pas vraiment pu trouver de réponse. On naît ; on grandit ; si on a de la chance, on fait quelques fois l’amour ; plus souvent, on se fait jeter comme une lavette ; il y a de beaux moments, mais il faut toujours faire la vaisselle après ; puis, un jour, sans l’avoir vraiment demandé ni vu venir, on se couche et on ne se relève plus. Le sens de tout ça ? Laisser la vaisselle propre pour que les autres puissent la salir…

Depuis le temps que tu écumes les berges de la Meuse et les tripots du Vieux quartier, t’as eu l’occasion de te demander comment réussir sa vie et être heureux… La solution s’impose d’elle-même : il faut réussir à ne pas trop respirer. Juste ce qu’il faut pour survivre. Loin des odeurs nauséabondes et des virus de toutes sortes. Les trois singes ont tout faux : « Ne pas voir le Mal, ne pas entendre le Mal, ne pas dire le Mal ». Toi, Ronny, tu sais bien que ce qui compte, c’est de ne pas sentir le Mal. Alors, peut-être, un peu de bonheur !

Devant tous ces corps refroidis, surtout ceux des femmes, tu t’es souvent interrogé : « Comment harmoniser les exigences du corps et celles de l’esprit ? » La conclusion est simple : puisque l’esprit n’existe pas, il suffit que le corps soit en harmonie. Faut pas se prendre la tête, y a que trois moments où ça arrive : quand tu tètes le sein de ta mère ; quand tu tètes le sein de l’amère ; quand tu tètes le sein de la mort.

Tenzin et Natina aimeraient aussi savoir comment apprendre à se connaître et à réaliser leur potentiel créatif. Comment passer de la peur à l’amour et contribuer à la transformation du monde ? Et là, tu as un éclair de lucidité. Tu comprends soudain le vide de ton existence, l’absurdité de ne manger tes raviolis qu’avec une sauce tomate. Tu sens monter cette force inexorable, ton nouveau destin : ce soir, tu les feras à la sauce à la crème et aux épinards.


Sabine Mammerickx
Face au Grand Bleu, tes pensées vagabondent. La mer est huileuse ce matin, presque noire. Tu l’observes du haut de ton promontoire rocheux taillé comme un nid d’aigle. Tu te réfugies là quand l’âme vague et divague. Depuis ton enfance, cette mer est la confidente qui engloutit tes déboires et tes chagrins dans ses eaux tantôt tumultueuses tantôt sereines.
Antoine est presque mort cette nuit, aux portes des urgences où il a été déposé par une âme charitable. Le crâne fracassé, le visage tuméfié, la cuisse déchirée, les mains broyées. Quel animal peut faire autant de dégâts ?
Tu lui avais dit de ne pas jouer le jeu de ce petit salopard de Fred. Une belle tête de tueur, celui-là. Un petit casseur devenu roi de la pègre sur cette plage touristique en été. Qu’avait-il besoin de repeindre les mobil homes de cet abruti dans ce camping pour rupins ! Si tu lui avais refilé le blé qu’il te demandait, il ne serait peut-être pas tombé dans le piège de cet enfoiré. Mais voilà, Lila t’avait supplié de l’emmener à Florence, son rêve d’enfance avec lequel elle me bassinait les oreilles depuis qu’on était ensemble et l’argent avait servi à cela : offrir à Madame un séjour de rêve dans cette ville-musées. Tu l’avais bien regretté, ce voyage. Les musées, pas ton truc, la foule encore moins. Cerise sur le gâteau, ton couple n’avait pas tenu. Lila parti, Lila volée par ce mécanicien de merde, Monsieur-tablettes-de-chocolat. Tu parles d’un gâchis !
Au loin, tu aperçois un dauphin qui fait des cabrioles, comme te saluant gaiement. Tout à coup, ton état d’esprit change à la vue de ce joyeux compagnon. Antoine est presque mort, mais pas mort. Tu vas tout balancer chez les flics : les petites combines de Fred, son carnet d’adresses, ses filières. Tout. Toi aussi tu connais des gens sur la côte, toi aussi tu sais frapper fort et faire mal.
Tu te lèves, salues de la main le mammifère déjà disparu dans les eaux bleues, et tu marches d’un pas décidé vers la plage déserte à cette heure. A nous deux, Fred !



Ariane Jouniaux
C’était un 15 décembre. Tu avais tourné la clé dans la serrure de la porte arrière, celle qui donnait directement dans la cuisine. Un froid humide avait déposé de la buée sur les carreaux de simple vitrage. Tes pas résonnaient sur le dallage noir et blanc. Sur la cuisinière au gaz, la bouilloire ne fumait pas. Les quatre chaises étaient impeccablement rangées autour de la table. Tu avais passé la main sur les fraises délavées de la toile cirée. Tu avais souri : « Mamchou et son obsession des miettes ! ». Était-ce dans ta tête ? Un parfum de violette flottait dans l’air. Tu avais allumé un feu avec le dernier fagot que tu avais trouvé dans la niche à côté du four à pain. Tes bouts de doigts écartés cherchaient la chaleur de la flamme pâle, tes mitaines fumaient. La voix mi-tendre, mi-reproche de Mamchou s’était élevée : « Minouche, quand vas-tu cesser de te ronger les ongles ? Tu ne trouveras jamais de mari ! ». Tes yeux s’étaient mis à piquer, la cheminée refoulait.

Tes pas t’avaient menée à la bibliothèque qui luisait sous le soleil d’hiver. Combien de fois avais-tu parcouru les 1273 ouvrages rangés par ordre alphabétique ? Quand tu ne savais pas encore lire ni compter, tu avais appris à les reconnaître par leur couleur, leur texture, leur odeur. Tu sentais le regard encourageant de Mamchou dans ton dos. Comme tu étais fière qu’elle te laisse rencontrer ses amis ! Colette sentait la poussière, elle était d’un jaune safran délavé, elle avait la peau douce. Hugo était rouge, dur et doré. Il sentait la colle. Gide était gris, décousu, souffreteux. Sagan trônait dans un compartiment à elle toute seule. Tu étais alors tombée sur John le Carré lisse, brun, écorné. Tu avais sorti « Un traître à notre goût » du rayonnage. Sur la page de garde, il était écrit : « À 88 ans, il est temps que tu te mettes à l’espionnage ! Joyeux anniversaire, Mamchou. 18 juillet 2017 ». Une larme avait dilué le O de Minouche que tu avais tracé à l’encre turquoise. Deux ans déjà. Tu avais frotté tes yeux avec ta main aux ongles rongés. Fichue cheminée.


Philippe d'Huart
Diego, fort de ses douze ans, le teint hâlé et dans une adolescence agitée s’époumone derrière un ballon rond avec une bande de copains.
« Passe ta balle Lulu », crie Diego. Hélas, le ballon sort fortement du terrain devant le désarroi des enfants. Diego se tient les hanches de dépit, hoche de la tête en râlant. Il aperçoit alors un vieil homme avec un vieux livre sur un banc. Juste au-delà de la ligne de touche.
Il l’entend susurrer quelque chose qu’il croit comprendre et interpelle cet homme d’un ton décidé. « Quand l’homme crie vers Dieu », as-tu dit ?
« Oui, exactement », renchérit le vieux. « Je fais repasser comme une bande audio des paroles qui m’ont marquées et qui ont soulevées en moi quelque chose », dit-il avec quiétude.
« Vaste entreprise », reprend le garçon dubitatif. « Je ne me pose guère ce genre de question.
Je suis un bandit dans le cœur de ma mère et je ne vis que la nuit », dit-il avec conviction.
« Oui, mais tu as senti » lui rétorque l’homme avec un brin d’humour.
Le gamin est surpris de sa réponse. « Je te laisse, dit-il, je n’aime pas la confesse et c’est moi qui décide, pas un autre ! »
Le vieil homme acquiesce et fait une moue du visage lorsque sur une branche au-dessus de lui, il voit un ‘cardinal rouge’, un oiseau nord-américain caractérisé par une belle huppe, avec des couleurs rouge et noire au niveau de la tête et du ventre. Il est beau.
C’est un signe, pense l’homme. Les oiseaux sont ceux qui sont les plus proches de Dieu, du Ciel et donc de la Source. Il regarde intensément l’oiseau et se signe de la main vers le cœur en se remémorant d’anciennes paroles prononcées un jour.
Il sent alors une main qui se pose doucement sur son épaule droite.
« Monsieur Victor, dit une voix féminine fluette, vous voilà encore bien songeur. Il est l’heure de rentrer pour le repas. On va prendre votre température ». Victor se lève et suit la brave dame en blouse blanche. « Je me suis confessé à un cardinal » murmure t-il.

Textes écrits du 11 au 17 mai 2020.

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