Le meilleur ami de l'homme

 

Un narrateur non humain pour parler du meilleur ami de l'homme ! 

Facile…

Mais, devinerez-vous chaque fois de qui il est question ?







Le meilleur ami de l’homme - Philippe d'Huart

Te souviens-tu ? La première fois ou tu m’as enlacé dans tes bras.
Ton étreinte était si forte, sensuelle, avec une agitation ô combien palpable.  
Je voyais à tes yeux que tu étais prêt à refaire le monde. Que tu avais envie de moi.
J’ai partagé très tôt avec toi mes pensées, mes émotions, mes angoisses ainsi que mes fous rires.
Te rappelles-tu ? Nos premiers questionnements, nos désaccords, nos colères, nos joies, nos mille et une nuits ?
Les mots que tu cherchais, je te les susurrais.
Tu m’as effeuillé, touché, caressé, dévoré avec passion jusqu’à en pleurer d’excitation.
Tu m’as parlé, écouté, retouché jusqu’à l’illumination la plus intime.
Tu m’as saisi, parfois avec bienveillance, parfois avec violence.
Ma présence t’est précieuse. Tu as appris avec le temps à m’apprivoiser.
Nous avons de fait parcouru ensemble de très puissantes tranches de vies.
Si tu trouves mon esprit parfois libertin et accrocheur, désinvolte ou percutant, il comble ta soif.
Nous avons également rompu pour que le dialogue et la raison finissent par l’emporter.
J’aime quand tu me prends avec assurance par la main. Nous sommes liés à jamais.
J’ai encore mon petit succès, tu vois, et souvent on cherche ma compagnie.
Je veillerai sur toi. Tu me frotteras le dos comme Aladin. Tu me toucheras encore et encore de tes doigts sensibles et je te survivrai. Crois-moi. 

Moi, le livre, qui livre et délivre à foison.

 

Le meilleur ami de l'homme - Isabelle Slinckx

J’ai partagé tous les bons ou mauvais moments de ta vie ces dernières années. Ton anniversaire avec de nombreux amis souriants, portant un toast, la flûte de champagne à la main, tous serrés les uns contre les autres ; tes vacances à la plage sous le parasol, les grains de sable entre les orteils et le nez rougissant ; les 50 ans de mariage de la tante Gertrude au menton poilu et de l’oncle Gaspard à la cataracte…
Que tu m’aies reçu ou acheté peu importe, des liens se sont tissés, jour après jour. Je te divertis, je t’aide, je vibre à la moindre émotion que tu me partages. Tu tiens beaucoup à moi, je le sais au temps que tu passes avec moi. Parfois même tes proches sont jaloux : hé, tu écoutes ce que je te dis ? Tu m’emmènes dans toutes tes sorties et je vois bien que tu aimes me montrer à tes amis, que tu es fier de moi. Tu as besoin de moi, je sens bien que la simple pensée de me perdre t’angoisse.

Je suis ton meilleur ami, puisque tu ne me quittes presque jamais, tout au plus la nuit pour dormir et recharger ses batteries chacun de son côté.
Mais… suis-je vraiment ton meilleur ami ? Je sais que tu me remplaceras, que tu en voudras plus à un moment ou un autre, que notre relation n’est pas faite pour durer, c’est ainsi que les choses se passent à notre époque. Ce jour-là, où tu me diras adieu, je sais que le contact étroit avec ta peau me manquera, ta main qui me caresse, le souffle de ton rire, tes émotions qui se diffusent en moi.

Je m’appelle Galaxy et je suis ton meilleur ami.

 

Le meilleur ami de l’homme - Jeanne-Marie Hausman

Le soleil est bas dans le ciel, Cha va bientôt se réveiller. Plus les jours avancent vers l’hiver et plus il se pelotonne sous un plaid pour profiter de siestes de plus en plus longues. Je ne suis pas sûr que ce soit bon signe. Cha me délaisse, comme il s’est peu à peu défait de toutes ses amitiés humaines. Ces longues heures à attendre une caresse en vain me rendent triste. Je croyais mordicus que j’étais son graal, son porte-bonheur, le sésame de son cœur. Force est de constater que ce n’est pas ou plus le cas. L’horloge égrène les minutes, bientôt la nuit aura envahi de son ombre tout l’appartement et ce ne sera plus qu’une journée de plus d’abandon à mon triste sort. Je n’ai plus qu’à me réfugier dans les souvenirs de ma splendeur passée.
Notre première rencontre eut lieu le jour de ses sept ans. Cha était un jeune garçon un peu rêveur, le cadet coincé entre la sœur aînée et le benjamin casse-cou. Ses longues boucles brunes encadraient son visage fin et ses yeux bleus semblaient flotter entre terre et ciel. Quand il ouvrit la boîte blanche qui me servait d’écrin, ses mains se mirent à trembler un peu. Il releva son visage aux traits délicats vers son grand-père et demanda d’une voix émue : « Mais c’est le tien ? ». Son aïeul opina du chef et le rassura d’un clin d’œil. « Tu sais que c’est mon trésor le plus précieux, n’est-ce pas Sacha ? » murmura le vieil homme à l’enfant. Cha avala sa salive et acquiesça. « Et bien, maintenant, c’est le tien. Fais-en bon usage ! » renchérit le grand-père, ébouriffant la tignasse du gamin. Le petit garçon avait couru dans sa chambre et m’avait déposé précautionneusement dans le tiroir de sa table de nuit.
Depuis lors, j’étais devenu son meilleur ami. Nous nous retrouvions l’après-midi et Sacha me racontait ses aventures, ses premiers chagrins d’amour, ses rêves et ses pensées secrètes. Je devenais le réceptacle de tout cela et je l’aidais le plus fidèlement possible à fixer la vie qui s’enfuit dans les recoins de sa mémoire, sur les pages blanches de ses cahiers d’écolier. Il avait su faire honneur au présent de son grand-père. Pas un jour, il ne m’avait laissé de côté. Plus d’une fois son cœur s’était serré quand il m’avait laissé tomber au sol ou égaré sous le bureau. Mais depuis quelques mois, Cha ne va pas bien. Il a mis fin à notre belle complicité scripturale. L’encre commence à sécher dans ma plume, mes dorures se ternissent… 

Je ne serai bientôt plus qu’un vieux stylo oublié dans un tiroir.

 

Le meilleur ami de l’homme - Sabine Mammerickx

Je suis réveillé brutalement par le passe-plats à guillotine en action. Mmmh ? J’espère que ce sera meilleur que hier soir. Mes narines frémissent, hument, déchantent. Du chou vert. Encore ! L’homo erectus s’est emparé du plateau et s’assied lourdement sur la seule chaise de la pièce. Il transpire la sueur et pue. Plus que d’habitude. Plus que moi en tout cas. Au moins toutes les nuits, je me débrouille pour rentrer au bercail à peu près nettoyé. L’homo mange vite, goulument. Il n’aime pas, cela se voit aux grimaces qui lézardent son visage ridé, mais il a faim. Alors il mange. Mais pas tout.
Je m’extirpe du coin où j’ai dormi quelques heures et me rapproche des pieds de sa chaise. Je sais qu’il m’a vu, car il a suspendu un moment la cuiller à hauteur de sa bouche avant d’enfourner l’infâme tambouille. Il prend tout son temps pour saisir le morceau de pain qui fait office de dessert et l’égrène en le laissant tomber mine de rien à côté de lui. Je n’attrape pas de suite les miettes. Méfiance. Il fait tout de même partie de l’espèce homo erectus, pas forcément amie de notre famille polynésienne. Des copains dans d’autres pièces ont disparu, on ne les a jamais revus. Celui-ci, je ne saurais dire pourquoi, me terrifie moins que les autres. D’abord il est gros, obèse même. En cas d’attaque, l’agilité sera de mon côté. Ensuite il est déjà dégouté par le chou, je ne dois pas être meilleur à manger. Enfin, j’ai envie d’y croire cette fois-ci. Encore sur mes gardes, je m’avance avec prudence jusqu’au paquet de miettes qui jonche le carrelage poisseux. Mes narines frémissent, hument. Je saisis en un éclair tout ce que je peux prendre en une fois entre mes pattes et galope retourner dans mon coin.
-T’es bizarre, toi !
Je sursaute et lui fais face. L’homo erectus s’est approché de moi, il est maintenant dans mon cercle vital. Je ne me suis pas attendu à ce qu’un corps aussi épais puisse se mouvoir avec cette rapidité. Je ne bouge pas. Il tend un gros doigt et caresse mon pelage gris, passe sur mes oreilles rondes puis me laisse tranquille. Il va se rasseoir, résigné et allume la télé. Ouf, j’en profite pour m’échapper quelques heures.

Le rat parti, le prisonnier soupira d’ennui et augmenta le volume de ton téléviseur.


Ami ennemi - François-Marie Gerard

-    Ah, te voilà toi ! Tu viens une nouvelle fois me parasiter ? Tu es trop costaud. Le coup le plus rusé que tu aies jamais réussi, c’est de faire croire à tout le monde que tu n’existais pas1. Vraiment pas sympa !
-    Pas sympa ? Pourquoi ? Ça ne change pas grand-chose pour toi, au contraire même !
-    Oui, mais enfin, il n’y a pas que moi dans cette affaire ! Il y a aussi « l’homme ».
-    Mon meilleur ennemi ! Il me le rend bien d’ailleurs. Crois-moi : j’ai les mains faites pour l’or, et elles sont dans la merde2 !
-    Ton meilleur ennemi, tout à fait. Tu l’agresses alors qu’il ne te demande rien. Tu t’insinues lâchement, en te cachant. Aucune pitié pour lui. Tu n'es pas seulement un lâche, tu es un traître, comme ta petite taille le laissait deviner3. Cela dit, c’est vrai que souvent, ça m’arrange. Moi qui suis son meilleur ami, tu le pousses dans mes bras et nous pouvons nous délecter ensemble. N’empêche, tu es plutôt sadique !
-    Plutôt sadomasochiste ! Parce que l’homme est un ennemi coriace. Non seulement il utilise des tas d’artifices pour me chasser, tous plus méchants que les autres, mais en plus il a des défenses naturelles bien plus redoutables encore. Et tu sais, l’amour est une chose éphémère alors qu’un conte de fées ne s’achève que si la vie s’arrête4.
-    Décidément, les cons ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît5. Tu sais, moi, je fais partie de ce conte de fées. Quel plaisir de participer à la régénération constante de mon ami. Sans moi, que ferait-il ? Tu me parasites peut-être, mais je suis sans doute un des meilleurs moyens de t’éliminer. Un seul regret : quand on a réussi à te faire partir, mon ami a souvent tendance à m’ignorer un peu, tout content de retrouver son petit confort. Mais je lui pardonne : il me revient toujours au bout du compte. N’empêche, la vie, c'est comme une boîte de chocolats : on ne sait jamais sur quoi on va tomber6.

Mais qui parle ? Le meilleur ennemi de l’homme est bien sûr le coronavirus, ou plus largement la maladie. Le meilleur ami de l’homme est, de toute évidence, le sommeil !

–––

1  Usual Suspects, de Bryan Singer
2  Scarface, de Brian de Palma
3  OSS117, de Michel Hazanavicius
4  Desperate Housewives
5  Les tontons flingueurs, de Georges Lautner
6  Forrest Gump, de Robert Zemeckis


 




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