Le pire cadeau de Noël

 Les fêtes approchent. Confinés ou non, il y aura des échanges de cadeaux. Pas toujours supers ! Même parfois catastrophiques. Alors, donnons-leur la parole !


Chouette - François-Marie Gerard

-    Une bûche ? Une bûche de Noël qu’on ne peut même pas manger ! Mais non, c’est quoi ce truc ?
-    Oh, je ne vous plais pas ?
-    Parce qu’en plus ça parle ! Non, mais tu t’imagines ? C’est Noël et on me fourgue ce vulgaire bout de branche !
-    Vulgaire ! Mesurez vos mots, cher nouveau propriétaire. Banal ou brut, peut-être. Mais vulgaire, non ! Ce qualificatif ne sied nullement ni au processus ni au produit qui arrive dans vos mains !
-    Mais enfin, tu n’es rien d’autre qu’un morceau de bois, mal dégrossi. Regarde… ah oui, je comprends mieux pourquoi tu parles. Un départ de branchette faisant office de nez, un coup de lame de tronçonneuse pour te faire une bouche, un autre pour esquisser un œil… on croirait presque voir un hibou finalement !
-    Ah, je vois que vous faites quand même preuve d’un peu d’imagination. Hibou, pourquoi pas ? J’aurais préféré « Chouette », plus en accord avec mon identité de genre, mais ne nous attardons pas à ce type de détails. Vous ne remarquez pas le principal ?
-    Parce qu’en plus il y a une hiérarchie dans les détails ! On aura tout vu. Bon, je vois bien qu’on t’a vrillé, ma pauvre branche. Du Nord au Sud et d’Est en Ouest. Quatre trous qui transpercent ton cerveau ! Ou du moins ce qui devait l’abriter. Car de cerveau, il n’y en a plus ! Tu as subi une méchante craniotomie, cher décérébrée ! Un grand trou ! Oh, mais il y a quelque chose dedans ! Ah, une bougie ! Une bête bougie chauffe-plat. Sauf que ce truc ne peut sûrement pas servir de chauffe-plat. À tous les coups, la maison brûle !
-    Je suis vraiment désolée. Je me réjouissais tellement de vous être offerte. Je vous arrivais remplie de désir et de tendresse. Quel affront !
-    Allez, ne t’inquiète pas. Je te prends. Je te rangerai dans un coin. Et parfois, en te voyant, j’aurai une pensée émue… Finalement, tu resteras sans doute présente, bien plus que des tas d’autres cadeaux de Noël aussitôt reçus aussitôt oubliés.

 

Balle chantante pour chien - Isabelle Slinckx

Rien que le nom de la chose aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Mais j’ai juste haussé les sourcils, un peu décontenancé, quand j’ai ouvert le paquet donné par ma sœur. Sans me douter. Ça faisait tzing tzong tzoung... une sorte de bruit métallique quand on la remuait.

- Tu vois, quand Poussy s’est mis à faire le gros dos, je me suis dit qu’il était jaloux (mon idiote de sœur offrait un cadeau de Noël à mon chien mais rien à mon chat, quelle méconnaissance de la systémique familiale!), mais toi tu continuais à chanter comme si de rien n’était.
- Ben oui, je suis une balle chantante pour chien.
- Et quand Poussy a plissé ses yeux verts de son air impertinent avant d’aller déféquer dans le panier de Wolfie, j’ai franchement eu l’impression que tu chantais de plus belle.
- Disons que Wolfie était un peu énervé par l’attitude du chat donc il me secouait encore plus fort dans sa gueule. Tu sais, c’est à ça que je sers, apporter de l’apaisement à un animal nerveux.
- Ah oui, pourtant moi ça ne m’a pas calmé. Et avant de partir en claquant la porte, ma sœur m’a dit que je ne grandirais jamais et Nathalie l’a suivie en me traitant d’immature et d’irresponsable parce que j’avais jeté le chat par la fenêtre pour calmer le chien qui te secouait de plus en plus, tu en devenais insupportable. Je me demande si elle veut vraiment me quitter. Pourtant, on n’est qu’au 3e, un chat ça retombe sur ses pattes.
- C’est sûr que tu ne pouvais pas prévoir qu’il allait tomber sur la concierge et lui lacérer le visage en sortant ses griffes pour freiner sa chute.
- Non, et je ne pouvais pas prévoir non plus que cette idiote allait perdre son sang froid à cause de ce chat sur sa tête et se lancer sur la rue sans regarder.
- Quand à imaginer que ce serait justement le bourgmestre qui passerait à ce moment dans sa voiture de fonction et qui enverrait valser la concierge dans la vitrine du boucher, vraiment. Il y a déjà du sang partout chez lui, mais quand même... vraiment... inimaginable...
- J’ai toujours voté pour lui et il n’en a même pas tenu compte avant d’autoriser la police à m’incarcérer, c’était bien la peine. Cette cellule est bien fraîche. Dis, la boule, chante un peu pour me consoler.
- Tzing tzang tzoung...


Ne masquons pas notre plaisir - Philippe d'Huart

24 décembre. Pourquoi m’offrir un cadeau ? J’ai simplement besoin de partager un bon repas, avec chaleur, passer du bon temps et rire un coup si possible. Vous comprenez ?
La daronne, elle n’arrête pas de beugler. Rentre. Attention. Purée.
Que son sapin est moche. Tiens, on dirait qu’il y a des cadeaux en dessous. La fête de Noël est l’occasion unique de se venger avec des cadeaux immondes dirait-on. Je vais leur causer.
-    Oh là, qui va là ?
-    Et bien c’est nous, mon vieux, tes cadeaux de Noël les plus cheums.
-    Salut les gars. J’espère que vous venez mettre de l’ambiance !
-    Tkt ! Lol ! Yep !
-    Je me présente : je suis le cendrier ‘fin de vie’. Je réceptionnerai les cendres de ton cher daron. Je serai son dernier cri et pas cher !
-    Moi, je suis le guide du parfait crevard. J’explique en long et en large le parcours du bon radin qui garde tout pour lui et vous laisserait bien crever.
-    Moi, je suis ton ticket pour les Bahamas. Coronavirus oblige, je commercialise ton rêve en voyage ‘trompe l’œil’. Je couillonne sournoisement des touristes, hommes et femmes, en quête d’aventure exotique ; illusoire et non-remboursable. Business garanti !
-    Et moi, je suis le vieux blaser de ton cousin Alfred, rapiécé et trop grand, trop large pour toi. La daronne dit que, dans un an avec une retouche, je t’irai comme un gant. Ta tante te l’offre avec joie comme cadeau de Noël.
-    Je suis touché les gars, vous savez, mais à deux pas d’ici, dans ma famille de cœur et sa brocante, je vous trouve pour une croute de pain, si besoin. 

Je mets ma veste, mon bonnet, j’enfile mes bottines, j’enfourche mon vélo et je vais retrouver Émilie, isolée comme moi, comme beaucoup d’entre nous. Dans son regard de braise, les yeux cernés par la fatigue, et avec son sourire, je retrouve ma vigueur, mon humour et mon enthousiasme ; ce qui nous aidera à passer l’hiver, au chaud, autour du brasero. Ne masquons pas notre plaisir.

 

Ça peut toujours servir - Sabine Mammerickx 

-    Oh, merci, Mamy. Vous ne deviez pas.
-    Ce n’est pas grand-chose, tu verras, mais ça peut toujours servir.
La jeune femme s’empare du cadeau offert et ouvre le beau papier d’emballage en prenant soin de ne pas chiffonner le nœud rouge vif qui l’enserre. Coincée entre chacun de ses beaux-parents, elle découvre son contenu.
-    Ah … Merci.
-    Voilà, je t’avais dit que ce n’était pas grand-chose, mais on est toujours content d’en recevoir, n’est-ce pas ?
Elle reste muette, abasourdie, son cadeau sur les genoux. Ses beaux-parents sont appelés ailleurs, elle reste seule en tête à tête avec… ça.
-    Dis donc, t’es un cadeau vraiment pourri, tu peux t’en vanter.
-    C’est toi, la pourrie, non mais oh !
-    Avoue. T’es pas un cadeau de Noël. À la rigueur utile, je le conçois, mais pas quelque chose dont une femme peut rêver.
-    Tu t’attendais à quoi de tes parents par alliance : une Rolex, une Maserati, une semaine à la Plagne ? …
-    Oui, bon, d’accord, mais il y a une marge entre ces merveilles… et toi !
-    Tu vas finir par me vexer. Regarde-moi bien : je suis doux, coloré, je tolère la machine à laver, je ne fais pas de mal aux enfants, je suis très utile après les repas, je ne coute pas cher… Que veux-tu de plus ?
-    Eh bien, je ne sais pas, moi… Pour commencer un cadeau moins « genré ».
-    Oh là là, tout de suite les grands mots, tout de suite la montée sur les barricades… Madame est une femme et donc elle ne peut pas me tolérer.
-    Si, comme objet pratique, pas comme le seul cadeau de l’année offert par ma belle-famille !
-    Tu manques d’ouverture d’esprit.
-    Ah ouais ? Essaie de te faire offrir à un mec. S’il te trouve à son gout, juré : je changerai d’avis.
-    Pari tenu ! Remballe et offre-moi à ton homme.
Rosalie, assez énervée par cette conversation, prend les 3 essuies de cuisine bariolés et les empaquette avec un soin relatif. Son compagnon vient d’entrer dans le salon, le nouveau casque high tec chromé juché sur ses oreilles, un sourire de contentement aux lèvres.
-    Tiens, Loulou, voici mon cadeau de Noël.
-    Poupée, on avait dit : pas de cadeau entre nous cette année.
-    Ce n’est pas grand-chose, tu verras, mais ça peut toujours servir. 

 

Indélicat - Jeanne-Marie Hausman

Claire arpente l’appartement nerveusement. Les restes de la soirée de la veille trainent encore sur la table. « Ce n’est pas vrai, rumine-t-elle, je n’en reviens pas ! Il l’a fait exprès, EX-PRES ! » Elle jette un regard furibard sur le paquet lamentablement abandonné sur la table basse à côté du sapin. « Tu n’es qu’une mauvaise blague, dans ton papier rouge et or ! Un caca dans de la soie ! » Claire serre les poings. La colère monte, son cœur s’emballe, ses joues chauffent, ses yeux sont brouillés par les larmes de rage qu’elle a du mal à retenir. « Tu entends ce que je te dis ? » La jeune fille s’empare de la boite éventrée et s’apprête à la fracasser au sol, quand une petite voix sort du carton : « Ça ne va pas la tête ? Elle est tarée celle-là. » Claire suspend son geste, interdite. « Qu’est-ce que c’est que ça ? » s’exclame-t-elle. « … » Le chignon à moitié défait, l’écume aux lèvres, les yeux exorbités, la jeune femme plonge la tête dans le paquet : « C’est une blague ? Romain a dû cacher un micro dans cette merde. » « Non, non ! Et arrête de me secouer dans tous les sens ! Je vais avoir le mal de mer. » rétorque la petite voix. « Et tu l’auras bien mérité ! Comment peux-tu imaginer une seule seconde que je vais t’accorder la moindre attention, le plus petit égard ? Tu es le pire cadeau de ma vie. » La jeune fille se laisse tomber dans les coussins avachis du divan bordeaux délavé.
Après la colère, c’est la tristesse qui la submerge. Elle se sent blessée et l’affront reçu la laisse anéantie. La fête qui aurait dû marquer une nouvelle année sous les meilleurs augures fut un fiasco total. Claire apostrophe le cadeau : « Tu te rends compte ce que tu m’as fait faire ? » « Que je t’ai fait faire ? Mais avec quoi tu viens ? Tu t’es saoulée toute seule comme une grande ! T’as eu besoin de personne. » Claire se renfrogne : « Tu es conscient de l’état dans lequel tu m’as mis quand j’ai tiré sur le ruban ?  J’étais sûre que Romain allait me faire sa déclaration et… » La colère l’a fait hoqueter. « Oh mademoiselle ! Je ne suis pas un saphir, mais je peux t’être utile. » « Utile à quoi ? j’ai tout raté, Romain est parti dégoûté, il m’a quitté… Et toi je vais te jeter au container ! » Le papier frémit, la petite voix reprend : « Quelle mauvaise foi ! Si ton chéri t’a quitté, c’est à cause du spectacle que tu lui as offert : le nez dans les toilettes, la gerbe généreuse. Et tu te souviens des insultes que tu lui as vomies en pleine face ? » La jeune femme se tasse, ses mains tremblent, les sanglots ne sont pas loin : « Comment voulais-tu que je réagisse ? Cette nouvelle année 2020 devait être l’année de nos fiançailles, de l’appartement à deux et il m’offre quoi, ce sagouin de Romain ? » La petite voix s’élève : « Moi… Mais ne dit-on pas que c’est l’intention qui compte ? » Claire souffle entre ses dents : « Bin justement, l’intention… » Elle s’empare du sac poubelle, débarrasse la table basse et jette le cadeau indélicat : un flacon de gélules amincissantes.




Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

L'escarpin vert… Roman policier

Rencontres à la piscine abandonnée de Bolso

Un dimanche après-midi sur l’île de la Grande Jatte