Premières rencontres

Les relations entre nos personnages semblent complexes. Ils ont bien dû se rencontrer une première fois. Nous l'écrivons !

Juliette Dorléac et Xavier Desmoulin - François-Marie Gerard

Tout ça parce qu'au bois d'la Cambre

Y'avait du muguet.
1

En ce début de mois de mai, l’inspecteur Xavier Desmoulin prend enfin une pause. Il fait beau, il fait chaud, c’est congé, sans danger… Quoi de mieux qu’une promenade dans le Bois de la Cambre. Le Sentier de l’Embarcadère le conduit au lac. Le bac semble l’attendre. Soyons fous, un tour sur l’Île du Châlet Robinson. Quel plaisir de se laisser aller là où ses pas le mènent, sans réfléchir, juste en respirant les parfums qui se bousculent.

Tiens, n’est-ce pas celui du muguet ? Desmoulin ne peut résister à l’appel de sa fleur préférée. Il se baisse et cueille quelques brins. Il en hume l’effluve. Senteur fleurie, verte, printanière et remplie de joie. Mais qu’en faire ? L’inspecteur ne se voit pas continuer sa promenade en tenant des fleurs à la place d’une Marlboro. Ah, mais voilà, cette demoiselle assise sur le banc les acceptera peut-être ? En plus, elle semble charmante. Soyons fous !

« Mademoiselle, pourrais-je vous offrir ces quelques brins que je viens de cueillir ? » La jouvencelle, perdue dans ses pensées, se redresse brusquement, jetant un regard sévère vers cet intrus qui se permet de l’aborder. Ce premier mouvement d’humeur laisse rapidement place à un sourire dévastateur.

-    Oh, mais nous nous sommes déjà rencontrés !
-    Euh, je ne m’en souviens pas… Je devrais pourtant, ce serait un crime d’oublier une telle beauté ! Pouvez-vous raviver ma mémoire ?
-    Je préférerais ne pas m’en souvenir pourtant…
-    Alors, c’était sans doute dans l’exercice de ma fonction. Vous aurais-je interpellé ?
-    Non, pas vraiment, nous nous sommes juste croisés. J’essayais de me dépatouiller d’un photographe minable quand vous êtes arrivé, comme un cadeau tombé du ciel, sans trop vous soucier de mon départ précipité !
-    Ah, Matteo peut-être ? Le roi de la combine scabreuse. Soi-disant photographe de boîtes de conserve ! En réalité, il ne conserve que ses victimes et les met en boîte ! Il ne les lâche jamais avant qu’elles ne passent à la casserole… Serais-je arrivé au bon moment ?

La belle se lève, yeux pétillants et lèvres aguichantes, tend une main lascive et murmure : « Juliette Dorléac. Je rêve d’un Chianti. Vous m’accompagnez ? »

Ce jour-là au bois d’la Cambre

Y'avait du muguet

C’était pas en décembre

C'était au mois d'Mai

Au mois d'Mai dit le proverbe

Fais ce qu'il te plait

On s'est allongés sur l'herbe

Et c'est c'qu'on a fait…

1  Adapté de la chanson Tout ça parce qu'au bois de Chaville, de Pierre Destailles

Adhémar Vanulle et Xavier Desmoulin - Jeanne-Marie Hausman

Adhémar Vanulle se gratte la tête. Il a été convoqué ce matin par les huiles de la police. Il n’y a pas de secret quant à l’objet de cette convocation : l’inspecteur-chef Barraud prend sa pension, il va falloir lui désigner un successeur. Vanulle a les mains moites, il ne sait que penser. Rien n’a filtré du bureau du commissaire divisionnaire et les rumeurs vont bon train. L’inspecteur-adjoint essaye de faire abstraction de tout ce qu’il entend, mais il ne peut s’empêcher d’être partagé entre l’envie et la peur. C’est vrai qu’un ragot a percé au milieu d’un brouhaha indistinct : Vanulle serait pressenti au poste d’inspecteur principal. Et depuis, le cinquantenaire ne mange plus, ne dort plus, l’angoisse a plombé son teint, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Des états d’euphorie où il se voit fier, autoritaire, se vengeant de toutes les petites taquineries dont il fait l’objet depuis cinq ans, alternent avec des moments sombres d’angoisse où il se voit dépassé par les chicaneries administratives, les magouilles des subordonnés, l’ambiance arrogante de la machine à café.
« Asseyez-vous, Vanulle. » Adhémar obtempère, un peu trop vite à son goût. Le commissaire divisionnaire lui jette un regard peu amène. Il se rapetisse encore un peu sur la chaise, stratégiquement plus basse qui fait face au bureau de Gossin. Ses mains moites le dérangent, mais il n’ose pas les essuyer sur son pantalon. C’est comme s’il était redevenu ce petit garçon écrasé par la morgue d’un père sans foi ni loi. « Je suppose que vous savez pourquoi je vous ai fait appeler, inspecteur ? » Le subordonné ne peut qu’hocher la tête, la gorge serrée. Un temps, le commissaire se penche légèrement en avant et toise le petit homme qui lui fait face : « Décidément, vous n’avez pas changé depuis l’école de police. » Le ton est froid, méprisant. Vanulle donnerait son père et tout son réseau mafieux pour disparaitre à l’instant.
Un coup sec à la porte. « Entrez ! », tonitrue Gossin. La porte s’ouvre calmement. Dans l’encadrement, apparait un homme un peu plus jeune qu’Adhémar : un visage agréable, une crinière poivre et sel, l’allure du quadra sportif, grand, les doigts jaunis par la cigarette. « Bonjour inspecteur Vanulle. Mon commissaire. » Adhémar est bouche-bée. L’homme l’a salué en premier, en posant ses yeux bleu acier dans les siens. « Inspecteur Desmoulin, bonjour. Vous connaissez déjà Vanulle ? » Le quadra se contente de sourire et l’inspecteur adjoint ne peut s’empêcher de remarquer à quel point il devient charmeur à cet instant. Gossin reprend : « Adhémar. Je peux vous appeler Adhémar ? » Il hoche rapidement la tête ne pouvant s’empêcher de penser que ce changement de ton n’annonce rien de bon. « Je vous présente l’inspecteur Desmoulin. Il sera dorénavant votre chef. Je sais que le poste vous faisait de l’œil, si j’ose dire. Mais la direction générale de la police a préféré une candidature plus jeune, plus aguerrie. J’espère que vous n’en serez pas trop contrarié ! », lance le commissaire sur un ton indéfinissable, que Vanulle préfére ne pas analyser. « Non, non, c’est très bien ainsi. » se surprend-il à dire. Desmoulin prend alors la parole : « Vous oubliez, si je peux me permettre monsieur le divisionnaire, que vous ne nommez pas un chef, mais plutôt une équipe. Et de ce que je sais des états de service de l’inspecteur adjoint Vanulle, notre duo sera efficace et complémentaire. » Xavier, l’œil arrogant, se retourne sur Adhémar, dans l’attente de son assentiment. Celui-ci ne peut qu’acquiescer à nouveau. « Bon, ce n’est pas tout ça, mais j’aimerais prendre mes marques dans ma nouvelle affectation. Pouvons-nous disposer ? »
Les deux hommes n’ont pas attendu la réponse du commissaire divisionnaire. Ils sont déjà dehors. Vanulle se fait la réflexion que Desmoulin fait preuve de beaucoup de zèle, lorsque celui-ci, lui tapant sur l’épaule, lui propose : « Une bière, une cigarette et de jolies filles… Je connais un endroit sympa pour faire connaissance. Tu viens ? » Et Adhémar, comme il l’a fait depuis sa naissance, suit docilement le mâle dominant.
 

Jean Dupoil et Juliette Dorléac - Isabelle Slinckx

Le cœur de Jean balance. Il se murmure à lui-même : « Je veux être un dur, les durs, ça ne se laisse pas toucher par les minettes. »

-    Tu me pousses, dis ?
-    C’est pour les bébés les balançoires.
-    Oui, mais je suis encore un bébé, maman le dit tout le temps. Et il n’y a pas de balançoire à la maison. Et on ne vient pas souvent dans le parc. Dis, tu me pousses.

Devant le ton péremptoire de la gamine, il s’exécute pour avoir la paix. Rien à faire de toute façon dans ce parc en attendant le retour des adultes partis faire des courses. Ils l’ont chargé de surveiller la petite, il veut montrer qu’il sait assumer ses responsabilités, qu’il est un grand. Devant lui, sur la balançoire qu’il pousse, avec ses boucles blondes qui lui encadrent le visage, Juliette lui adresse un sourire...
Un sourire craquant... quelque chose de pur que le cœur encore un peu tendre à quelques endroits de Jean ne peut nier. Un cœur peut-il se voiler la face devant la beauté ? Celle des traits oui, mais surtout celle de la confiance.

Il a pourtant eu un sursaut de dégoût quand ils lui ont présentée, son père et cette femme à l’air doux et déjà usé qu’il croyait être la nouvelle conquête de son géniteur. Mais il a vite fait le calcul : Juliette a 4 ans. Son père à lui, son géniteur, affirme que Juliette est aussi sa fille et il n’est sûrement pas assez futé pour viser par cela le plan symbolique. Donc il y a 5 ans environ son géniteur et la femme douce ont fait ce qu’il fallait pour donner naissance à cette Juliette. Et il y a 5 ans, son géniteur était toujours avec sa mère à lui. Même si tant ses connaissances en matière de procréation que ses normes morales laissent à désirer, Jean se sent vaguement mal à l’aise avec la situation.


Juliette Dorléac et Luigi Di Giorgio - Sabine Mammerickx

- C’est la dernière fois, soeurette, je te le jure…
- Tu m’as dit cela la dernière fois, déjà. C’est non !
Jean Dupoil regarde autour de lui si personne ne se retourne sur le trottoir, mais heureusement, la zone est plutôt déserte à cette heure-ci de la journée. La peur se lit sur son visage et Juliette fait un effort pour ne pas se laisser attendrir.
-    C’est dangereux, Jean, tu comprends ça ?
-    Je… suis aculé, Juju, vraiment. Je dois une somme… t’as pas idée combien à… quelqu’un.
Jean tend le colis à sa sœur. Le papier en papier kraft marron est solidement ficelé. Juliette l’épie avec méfiance sans le prendre.
-    Et c’est quoi, ça ?
-    …
-    Si tu m’dis pas, j’y vais pas.
-    Ce sont des contrefaçons Vuitton et Gucci. On revend ça à des hôtels de luxe sur la Côte adriatique, dans le sud… Lucratif et sans risques.
-    Sans risques ? Tu parles !
Il commence à perdre patience.
-    Je te demande juste d’entrer dans ce bâtiment, de monter au 2e et de déposer en main propre, t’as entendu ? En main propre !  À un certain Ledégé.
-    Tu fais chier, Jean, vraiment !
Juliette de mauvaise humeur s’empare brusquement du paquet, entre dans l’immeuble, sonne et monte au 2e étage, bien décidée à fuir de là le plus vite possible.
-    Monsieur Ledégé ?
Une fille sort de l’appartement en bousculant Juliette. Grande, brune, les lèvres peintes, en bas résille et hauts talons ; cette fille-là n’est pas venue faire le ménage, se dit Juliette qui reste plantée sur le seuil de la porte.
-    Entrez, Mademoiselle, Jean m’a avertie de votre venue.
Juliette sursaute. Elle n’a pas vu l’homme arriver droit sur elle. D’un coup d’œil, elle a repéré la grande taille, l’allure sportive, les traits basanés des gens du Sud. Il veut la faire asseoir, mais elle refuse, pressée de se débarrasser de sa mission.
-    Merci beaucoup, lui dit-il en jetant le paquet avec négligence sur le canapé couleur lie de vin. Vous buvez quelque chose ?
Ils s’observent maintenant, face à face dans le salon de ce loft cosy, généreusement éclairé par une baie vitrée qui donne sur le parc du quartier. Juliette sent une sueur froide couler dans son dos : elle sait à qui elle a à faire et se sent prise au piège. L’homme ne se gêne pas pour la détailler de la tête aux pieds.
-    Jean ne m’avait pas dit que sa sœur était si jolie.
-    Bon, ben, j’y vais, on … on m’attend, bafouille Juliette qui se dirige prestement vers la porte.
-    Attendez ! Le propriétaire des lieux lui tend une carte. Mon frère est à la recherche de mannequins pour des séances de photos. Vous ne seriez pas intéressée ?
De plus en plus mal à l’aise, Juliette saisit rapidement le carton avec l’adresse et s’enfuit sans demander son reste. Elle redescend quatre à quatre les marches de l’immeuble, bondit dehors et se dirige vers la station de métro la plus proche.
-    Alors ? lâche Jean qui s’était adossé derrière un pilier de rue en l’attendant.
-    Alors ? Je ne marcherai plus jamais dans tes combines ! crie presque Juliette. Ce type, c’est …
-    Oui, c’est lui. Ledégé est un nom d’emprunt.
-    Très discret ! ironise Juliette. Luigi Di Giorgio ! Le ministre de la Justice ! Vous êtes dingues tous les deux !
-    Chut, tais-toi ! Si ça se savait… 
-    Je m’tire. Et ne m’appelle plus pour le moment. Marre ! 


Jean Dupoil et Géraud Desmoitier - Philippe d'Huart

La visibilité sous l’eau est bonne. Prisca joue parfaitement son rôle de binôme aux paliers de décompression. Elle observe Géraud aux 40 mètres - léger vertige alterno-barique.
Elle le retient par le bras pour respecter les indications de l’ordinateur de plongée et les consignes de sécurité. Géraud se calme.
Les indicateurs de sa montre marine sont tous au vert. Ouf ! Elle lui fait un signe positif de la main. Ok. 20, 10, 5 m. Ils refont surface, épuisés, et rejoignent le yacht en nageant difficilement à contre-courant. La mer est agitée.
De retour sur le bateau, la monitrice, affectueusement appelée ‘Mona’, délivre aux plongeurs les dernières consignes de sécurité avant le retour au port.

Rien de plus agréable que le soleil et l’eau bleue de la mer Tyrrhénienne en ce début septembre. La chaleur de l’eau qui étreint les corps fatigués par l’exercice de la plongée sous-marine. Le soleil qui pénètre insidieusement la peau pour la faire reluire. Les maillots de bain plus originaux les uns que les autres sur les peaux burinées par le soleil.
Les filles couleurs vives, les garçons à la musculation avec le matériel de plongée. Le yacht arrive sur le quai.
-    Le Nello’s, le bar-restaurant du Golfe de Baratti ! Enfin !
Géraud s’assied à une table avec quatre invités pour le déjeuner. Son binôme de plongée, Prisca, le responsable du Club de Plongée, un homme d’origine slave et deux Italiens.
Le reste du groupe reste à bord du yacht, le ‘Fugio’.
-    Bon Dieu Jean ! Que fais-tu ici ?
-    On se connait depuis quoi, 3 ans ?
-    Oui, c’était lors d’un rallye-dégustation organisé par l’AVT (Associazzone Vinicole Toscana), le ‘Fiat 500 sur la route du Chianti’. Tu étais tout jeune restaurateur prometteur. Quelle épopée et bien accompagnée !
-    Et tes recherches sur le  Chianti ? Cela avance ?
-    Exact, je t’en ai touché un mot.
-    Et le boulot !
-    Je suis breveté d’une formation sommelière à Genève. Je travaille ici en tant qu’assistant sommelier. Je m’y plais pour le moment.
-    Top ! C’est une bonne adresse. Je suis à la recherche de bons plans.
-    Ne penses-tu pas qu’il serait temps pour nous de s’humecter les amygdales ? Cette illustre famille Toscane, les STROZZI, produit un vin plaisant. Non ? Pourquoi s’en priver ? C’est la fête aujourd’hui !
Jean, à son habitude, est d’une discrétion redoutable entre les tables, mais rien ne lui échappe. C’est un chat !
Au-dessus du comptoir, trône l’écriteau suivant : « Spartiates ! Mangez avec appétit, car ce soir nous dînerons en enfer  ».
À la fin du repas, Desmoitier s’acquitte d’une facture de X.XXX,xx€ !
-    Ouille ! Je… Jean ?
Quand il regarde les plats servis, rien d’extraordinaire : des pâtes, du parmesan, des calamars, des desserts traditionnels et trois bouteilles d’eau.
Pour cette bacchanale, il n’y a pas de quoi s’enthousiasmer. Mais pour arroser cette cuisine populaire et pour épater la galerie,  Géraud s’est lâché sur le vin !
Un domaine Giuccardini Strozzi 2006, un domaine de la Romanée Conti et cinq verres de Porto Tawny 40 ans d’âge.
-    L’or rouge ? lance Prisca d’un air pincé.
-    Allez ! Allez ! Frais de bouche ! Il faut le voir comme un investissement !

Dupoil hoche la tête avec approbation.
-    On peut te faire une note à l’Italienne si tu veux ?
-    Quoi ?
-    …..
-    Accordo Concluso

Desmoitier fait discrètement un signe à l’homme d’origine slave qui enchaine :
-    Oh ! Assistant sommelier ! Tu as le mal de mer ?
-    Non, répond Jean.
-    Tu termines à quelle heure ton service ce soir ?
-    Minuit.
-    Et tu commences ton service à quelle heure demain ?
-    J’ai congé. Mais je dois parler à ma sœur.
-    Viens avec nous. Il y a de beaux spots dans le Golfe. J’ai aussi des bouteilles de Chianti, habillées de fiasco. Allez, $anté ! La muse m’habite ! Cela mérite un coup de pied dans les Pouille$ !
-    Allez, Géraud, $anté ! renchérissent-ils tous en cœur !

Ils rentrent ensuite pour la sieste sacrée, sur le Fugio, ce si beau yacht blanc qui parcourt la côte Toscane à la recherche des plus beaux spots de plongée.
Sur le pont supérieur en tec, ils retrouvent les autres plongeurs restés à bord et allongés comme des pachas sur les coussins beige crème moelleux.
-    Matteo, au boulot mon gars !

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