Des mobiles ?

À force d'avancer dans notre intrigue, nous nous sommes dit que chaque protagoniste avait peut-être de bonnes raisons d'espérer la mort de Géraud Desmoitier. Nous avons donc décidé d'explorer cela !

 

Luigi Di Giorgio - Isabelle Slinckx

Cela fait trois nuits qu’il ne dort plus. Qu’il retourne en tout sens tant son corps pour trouver le sommeil  que son esprit pour trouver une solution. Depuis cette lettre de menace arrivée dans sa boîte. ‘Si tu ne payes pas, on t’envoie l’Afsca’.  Laconique. Juste un chiffre en plus : 500 000.

L’Afsca préléverait des échantillons des aliments utilisés en cuisine, mais surtout du Chianti servi au Vins et Délices. Ils auraient ainsi toutes les chances de déceler la présence d’adjuvants interdits dans le vin. L’Afsca remonterait la filière d’importation, avec  de nombreux intermédiaires, certains pourraient parler, son nom serait mis en avant, cela détruirait sa carrière politique. Il l’avait déjà échappé belle lors de l’affaire Dutilleux quelques années auparavant, qui avait mené  le politicien liégeois du Parti Démocratique Belge sous les verrous. Heureusement, il fréquentait les cercles proches de Dutilleux depuis peu à l’époque et la justice n’avait pu trouver de preuves contre lui.

Il se rend compte qu’il a peur. Honte. Qu’aurait dit son grand-père qu’il adorait, lui qui avait travaillé durement toute sa vie au point de s’en rendre malade ? Il aurait honte de son petit-fils et cette compréhension soudaine est un coup de poignard dans le cœur de Luigi. Son père couvrait bien quelques petits trafics dans sa buvette : paris illégaux, jeux d’argent, cigarette de contrebande. Rien de bien méchant. À sa mort quelques mois auparavant, il lui avait dit : fais honneur à la famille Di Giorgio, mon fils. Luigi n’avait plus osé le regarder dans les yeux. Il avait ainsi perdu les derniers instants de son père.

Au matin d’une nuit blanche, il sombre. Épuisé. Pleure. Ressort d’un tiroir les photos de son époque d’entraîneur des jeunes à Seraing. Il avait de l’ambition, mais juste celle de faire monter son club, de donner de la fierté à ces jeunes, pour la plupart issus de familles déshéritées. Il avait un idéal, autre que l’argent. Et si la réussite et la reconnaissance accompagnaient cette ascension, tant mieux mais ce n’était pas le but premier de ce jeune Luigi. Fier et charismatique, mais humain aussi. Mais comment, pourquoi s’est-il laissé prendre dans les mailles de la politique et de la corruption? Et puis ces menaces, ce chantage : 500 000 € pour acheter le silence du maître-chanteur.  Comment s’en sortir ?  S’enfoncer plus profond dans le crime ?
Ou en sortir, du crime ?
Qui est ce maître-chanteur, comment sait-il ?  Un intermédiaire ? Un producteur italien ? Dupoil ? Qui sait, il ne l’a jamais senti. Géraud ? Non, ça n’a pas de sens. Il a amassé une belle fortune, pourquoi en vouloir plus. Et puis leurs relations sont bonnes, même s’il y a eu plus de distance ces derniers temps, il l’a remarqué, ainsi que l’air préoccupé du restaurateur. Serait-ce un indice que quelque chose ne va pas ? Qu’il essaye de le doubler ?
Il faut qu’il en ait le cœur net, qu’il aille lui en parler, lui dire qu’il veut tout arrêter.



Desmoulin - Jeanne-Marie Hausman

« Crétin ! » Novembre 2019, Xavier Desmoulin écrase du poing le gobelet en carton qui trainait depuis six jours sur son bureau. Vanulle sursaute et lui lance un regard en coin. Son patron fulmine, le regard vrillé sur l’écran du PC. « Ça va, chef ? » lance-t-il, un peu sur la réserve. Desmoulin ne répond pas. Il est concentré et joue de la souris avec une énergie peu commune. On n’entend plus dans le bureau que des clics hystériques. Vanulle hausse les épaules et relit une dernière fois le rapport de la journée.
« Ce n’est pas possible, pas encore lui ! » Cette phrase tourne en rond dans la tête de Xavier depuis qu’il les a vus sur les photos prises depuis la planque installée devant le club Eden. Il est là, le salaud, imbu de sa personne, gonflé d’orgueil et de vanité. Tout à coup, le silence de la pièce retentit aux oreilles de l’inspecteur. Il détache les yeux un instant de son écran et les pose sur Adhémar. Celui-ci a l’air hyper concentré sur la paperasse. Desmoulin crispe les doigts autour de sa souris. Son attention est à nouveau captée par l’image sur laquelle il s’est arrêté quelques secondes plus tôt, une parmi des dizaines d’autres, mais une de trop.
Vanulle, qui a terminé, se tourne vers Desmoulin : « Vous travaillez toujours sur les photos que les bleus ont faites pendant la surveillance de l’Eden, chef ? » « Oui, oui » grommelle Xavier. « Un coup de main ? » Adhémar ne tient pas à rester les bras croisés. « Ça ira… Oh et puis oui, on ne sera pas trop de deux pour l’identification de ces dégénérés. » Vanulle s’approche du bureau. « Vous croyez qu’avec ces photos, on va pouvoir prouver que l’Eden est la plaque tournante du trafic d’ecstasy de la capitale ? » Adhémar fronce les sourcils : « Je le reconnais celui-là… C’est Géraud Desmoitier. Il a un restaurant très chic, en banlieue. Ah, il faut réserver des semaines à l’avance pour y manger. Mais bon, la gastronomie, bof, je préfère un bon plat de brasserie. » L’adjoint pérore, alors que Desmoulin supporte de moins en moins la vue des clichés de la planque. « Mais à son bras… je ne la reconnais pas. Une bien belle femme, en tout cas. Qu’est-ce qu’elles ont toutes à tomber amoureuses des vieux moches friqués ? C’est le pouvoir qui les attire ? Si c’est pas… » « C’est bon, Vanulle, on se passera de vos commentaires. » L’inspecteur congédie son adjoint d’un geste de la main : « Allez plutôt briefer l’équipe de nuit qui doit être arrivée. »
Une fois seul dans le bureau, Desmoulin laisse éclater sa rage et lance à toute volée contre le mur le gobelet en carton. Desmoitier a encore frappé et Xavier ne peut détacher son regard de Caroline tout sourire à son bras. Il repense à toutes ces femmes qu’il a aimées et que ce sale arriviste a séduites et mises dans son lit en leur promettant Dieu sait quoi ; à Lou, à Cécile, à Hélène… et surtout à Laurence, la plus fragile, morte d’overdose dans les toilettes du Domaine « Vins et délices »... une affaire étouffée par les huiles du commissariat. « Tu ne perds rien pour attendre, connard ! »



 Juliette - François-Marie Gerard

-    Allez, la belle. Tu peux sortir. Mais un conseil : avant de partir, passe chez l’inspecteur. Il n’a pas trop le moral, ça lui fera peut-être plaisir de te voir.

Juliette Dorléac regarde Vanulle avec des yeux en velours. S’il n’était pas si laid, elle lui sauterait au cou. Libre, elle est libre ! Passer chez Xavier ? Pourquoi pas ? Elle s’en veut un peu de lui raconter n’importe quoi depuis si longtemps. Il a toujours été réglo avec elle, ne sachant trop comment cacher son amour. Il joue au dur et au blasé, mais on voit bien que dès qu’il la voit, il ne sait plus que faire. Et conne qu’elle est, ça la fait fondre aussi…

-    Bonsoir Inspecteur. Vous vouliez me voir ?
-    Euh, bonsoir Juliette. Non, pas vraiment. Mais installe-toi. Tu sais où tu vas aller ? Vaut peut-être mieux que tu ne rentres pas chez toi.
-    Je ne sais pas, je n’y ai pas réfléchi. Tu crois que je cours un danger ?
-    Tu dois le savoir mieux que moi. Mais, dis-moi, ça a dû te faire un choc quand même, la mort de Desmoitier ?
-    Oui, c’était la première fois que je voyais un cadavre, un pendu en plus…
-    Juliette, arrête de me mener en bateau. Tu m’as assez trompé comme ça. Mais qu’est-ce que tu lui trouvais à Desmoitier ? Vieux, malade, puant… Est-ce que seulement il baisait bien ?
-    Mais, Xavier, je n’en sais rien… Je n’ai jamais fait l’amour avec lui, ou… ou alors pas vraiment.

Desmoulin sent le changement d’attitude de Juliette. Elle semble désemparée. Il ne sait ce qu’il doit faire. La journée a été dure, il n’a plus envie d’être l’inspecteur froid et calculateur. Il rêve de prendre Juliette dans ses bras, de s’enivrer de ses parfums. Il ne peut pas, pas ici. Il jette son bâton de réglisse sur son bureau et va juste s’asseoir à côté d’elle. Il lui prend la main. Sans dire un mot. Juliette tremble.

-    Écoute, Xavier. Desmoitier, c’est un salop. Il… il m’a… il me faisait chanter.
-    Chanter ? Mais pourquoi ? Qu’avait-il contre toi ?
-    Une vidéo. Une vidéo d’un sale moment. Il disait que si je ne faisais pas ce qu’il voulait, il la publierait sur tous les réseaux sociaux. Ma carrière de mannequin photo serait foutue à tout jamais.
-    C’est quoi cette vidéo ? Tu sais où elle est ? Tu l’as déjà vue ?
-    Non, je sais juste qu’elle existe. Desmoitier m’en a parlé. Luigi aussi. Mais lui, c’était il y a longtemps, 5-6 ans, quand la vidéo a été prise. Depuis, Luigi n’en a plus jamais parlé. Mais je crois que c’est lui qui l’a. Oh, Xavier, je suis… je suis tellement honteuse.
-    Mais merde, qu’est-ce qu’il y a sur cette vidéo ?
-    Je ne peux pas te dire. Je ne veux pas. Mais Desmoitier me tenait. Il pouvait m’utiliser pour toutes ses sales combines, ses trafics. Je n’en pouvais plus, Xavier. C’était devenu horrible. Il fallait faire quelque chose…

Les tremblements de Juliette se transforment en spasmes. Elle pleure. Desmoulin ne sait que faire. Il regarde autour de lui : personne, porte du bureau fermée. Surmontant sa peur, il ose entourer l’épaule de Juliette de son bras protecteur. C’est à peine s’il l’entend sangloter :
-    Je me sens si sale…
-    Viens, on y va. Un bon bain t’attend chez moi. Après, on verra…

Jean Dupoil - Sabine Mammerickx

Jeudi 9 novembre 2020, 4 jours avant le meurtre.

Je sors groggy de l’immeuble où habite ma sœur. Je piétine un peu sur le trottoir ne sachant où aller. Un whisky bien tassé est ce dont j’aurais le plus besoin en ce moment, mais nul bar à l’horizon. Sans trop savoir comment, j’atterris dans un petit square, plus bas dans la rue. À cette heure, le lieu est désert et je me laisse tomber lourdement sur la balançoire en bois de la minuscule plaine de jeux.
Géraud … salaud … crapaud … Espèce de saligaud ! J’ai parlé à voix haute et mon cri me fait sursauter. Je regarde autour de moi. Une mère entre dans le square, tirant une poussette et tenant fermement la main d’un petit garçon.
Indifférent à la présence de l’enfant, je me balance un peu. Avant, arrière, avant, arrière. Une image insupportable s’incruste dans ma tête et je la secoue pour la faire partir. Géraud sur Juju faisant son affaire, Luigi ricanant à côté. Comment ont-ils pu me faire ça, à moi ? Je me sens tout pâle ; j’ai toujours eu le teint maladif, l’état souvent fiévreux, mais là, il y a une bonne raison. Mon ami, enfin, celui que je considérais comme tel, s’est tapé ma sœur ! Je n’arrive pas à intégrer la nouvelle que Juliette vient de me confier, là, dans son studio.
-    J’ai pas pu te le dire plus tôt.
-    Mais enfin, Juju, pourquoi, bon sang ?! Tu me racontes ça, là, entre deux autres histoires … C’est insensé !
Elle tenait son chat dans ses bras, comme pour se protéger de ma colère.
-    Ils ont filmé la scène, a-t-elle dit presque en chuchotant.
-    Ils ont … QUOI ? Qui a fait ça ?
-    Tu sais, le photographe, le frangin de Luigi.
Je continue à me balancer, ruminant ce que je viens d’apprendre. Je croise enfin le regard courroucé de la mère et baisse les yeux. Son gamin est à mes pieds, lorgnant l’unique bascule de la plaine de jeux. Tout à coup, je saisis le ridicule de la scène et laisse le jeu à l’enfant en m’enfuyant du lieu, sûrement poursuivi par le regard scandalisé de la mère.
Tout à coup, je revois ma petite sœur sur une balançoire similaire, ses couettes serrées par des élastiques rose fluo.
-    Tu me pousses, dis ?
Combien d’heures n’ai-je pas passé dans ces foutues plaines de jeux. Pour elle. Ma Juju.
Tu vas me le payer, sale traître !


Géraud Desmoitier - Philippe d'Huart

 J-6

Géraud est diminué depuis son accident de plongée. Cette fameuse descente sur un spot d’épave de navire coulé en mer lui aura couté sa santé. Accident de décompression.
Œdème cérébral et pulmonaire .
Desmoistier se sent également acculé. Son bilan comptable et les perspectives ne sont pas florissants. Loin de là, comme beaucoup d’établissements HORECA. Les temps sont durs, très durs pour la restauration. « Peu d’entre nous survivront, pense-t-il avec amertume ».
Son petit trafic de drogue en cuisine est suspecté. La cocaïne. L’ingrédient qui permet au chef d’affronter des horaires punitifs. Un métier physique. La poursuite effrénée de la créativité.
Éreintante course aux étoiles qui a vu plus d’une trajectoire météorique exploser sur sa lancée .
Il perd pied dans son commerce de vin frelaté. Les principes de contrôle DOC sont étroitement renforcé. On lui demande des comptes, y compris ses amis. Les disputes avec La Chiesa deviennent de plus en plus nombreuses. La vengeance d’une grande dame. Il connaît.
La presse relate 30 000 bouteilles contrefaites de grands vins Chianti retirées du commerce.
Le réseau de Desmoistier et Luigi Di Giorgio est  impacté, mais pas dévoilé. Les vautours rôdent.
La police saisit pour 31 millions d’euro de bouteilles de contrefaçon . Du vin de table à un euro transformé en grand vin. Le rêve de Géraud.
Utilisation abusive de gélatine, de colle de poisson ou ichtyocolle ainsi que de l’albumine pour assouplir le vin rouge tannique. Il va devoir s’expliquer devant la forte AFSCA, qui le suit de près.
Il sent dans sa nuque le souffle chaud de la flicaille locale à l’affût d’un faux pas. La revanche ?
Un passage de trop à l’Eden et sa drogue de l’amour, l’ecstasy ?
Il perd une à une ses ambassadrices. Laura, Anna, puis Laurence.
Les voisins n’en peuvent plus de voir son chien Bobby traîner chez eux renifler de sa truffe leur chienne en chaleur au point d’engrosser la belle.
Il reçoit des menaces en provenance de chasseurs truffiers rivaux de San Miniato, dans la région de Pise, prêts à en découdre et à dévorer son foie avec un bon Chianti.
Il en sait trop sur les agissements et les liens mafieux de Luigi Di Giorgio, impétueux et narcissique. Luigi, un ami dorénavant très, très vindicatif à son égard et sur el miracolo del vino.
Et maintenant Juliette, la belle Juliette, susceptible de mettre à mal leur diabolique combine.
Elle pourrait devenir gênante. Desmoistier s’enfile un cocktail multicolore très alcoolisé.
Sa vie est devenue un champ de ruines. Lui qui, au forceps, a connu une ascension fulgurante, la gloire, les conquêtes féminines, la reconnaissance de ses pairs, l’abondance, le plaisir de son yacht. Oui. Il connaît maintenant la chute. Il est seul, face à lui-même.
Il pète un cable. « Morire per morire, non andro da solo ! » s’exclame-t-il violemment en italien.



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