L’escarpin vert

 



Une intrigue sous forme de cadavre exquis : Philippe a commencé l’histoire, il l’a transmise à François-Marie qui a communiqué son propre texte – et uniquement celui-ci – à Isabelle qui en a fait autant à Sabine pour terminer enfin chez Jeanne-Marie.

Une petite contrainte chaque fois : placer une réplique culte d’un film, au choix !

L’histoire n’est pas vraiment terminée ! La suite prochainement ?


Suite et fin (provisoire ?) ici !





L’émoi est grand dans le village et des rumeurs circulent. Que s’est-il passé ce week-end ?
 

Le corps de Géraud Desmoistier, restaurateur connu dans la région, est retrouvé dans son restaurant, sans vie, le lundi 13 novembre à 11h.
 La camionnette Bpost du facteur venait lui livrer un petit colis recommandé provenant de l’étranger. L’homme sonna à la porte, sans réponse. 
Les abords de la bâtisse en recul de la route et encastrée dans la forêt étaient encore éclairés par les spots de contour. Le facteur fit le tour pour déposer le colis dans l’annexe, comme il en avait l’habitude en cas d’absence. 
Lorsqu’il découvrit par une baie vitrée le corps inerte de Géraud lié à une corde elle-même accrochée à une poutre, le facteur lâcha le colis et appela illico la police malgré la difficulté de sa liaison mobile.



La police délimite le périmètre avec les précautions d’usage. Des poils de chien trainent à gauche et à droite sur le parquet. Il y a également des traces de chaussures, comme s’il y avait eu glissade. 
Un briquet jaune avec un diable noir tenant une fourche sur une roue ainsi qu’un étrange vieux jeu de cartes coloré se trouvent éparpillés sur le sol. 
Quelques ustensiles de cuisine, des cordes de musculation et une tablette de chocolat Noir Désir complètent étrangement le tout.
 Sur la baie vitrée, en rouge sang, se trouve l’inscription suivante : « J’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un excellent Chianti1 ».

Lorsqu’à 15 heures, la vieille Range Rover de l’inspecteur Desmoulin déboule sur le chemin d’entrée cabossé, son adjoint Vanulle l’attend sur place.


L’inspecteur Desmoulin est exceptionnellement de mauvaise humeur. Il a été appelé alors qu’il ruminait le texto reçu la veille : Juliette, sa préférée du moment, le jetait comme un vulgaire pardessus ! Et maintenant, un mort ! Géraud Desmoistier de surcroît. Ce salop de restaurateur lui a plus d’une fois, fidèle à son nom, piqué sa moitié provisoire. Desmoulin est sûr que cet assassinat ne peut être qu’une histoire de cul.



L’adjoint a, comme d’habitude, la gueule des mauvais jours.
-    Alors, Vanulle, qu’est-ce qui lui est arrivé à cette larve de Desmoistier ? Une crise cardiaque en pleine extase ?
-    Soi-disant un suicide. Mal déguisé en pendaison. En fait, selon moi, il est mort de peur, hier soir, vers 22 heures.
-    De peur ? Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
-    Regardez ce jeu de tarot éparpillé. Vous ne remarquez rien ?
-    Il a l’air bien usé en tout cas. Mais à part ça ?
-    Il manque une carte. Comme par hasard, la treizième…
-    La treizième ? La carte de la mort ?
-    Et regardez, ce n’est pas tout. Vous voyez ces traces de chaussures. Comme une glissade. Mais il y en a une qui n’a pas vraiment dû glisser…
Vanulle sort précautionneusement d’un sac à indices en papier un escarpin vert au talon cassé, en susurrant : « Maintenant elle va marcher beaucoup moins bien, forcément...2 ».

Desmoulin blêmit et ferme les yeux. Sans conteste, c’est la moitié de la paire qu’il a offerte, sur un coup de tête, hier matin à Juliette après qu’elle l’a d’un coup de langue envoyé au 7e ciel. Bon, ce n’est qu’une paire qu’il a récupérée aux objets perdus, mais quand même, dès que Juliette les a chaussés, il a senti le désir renaître ! En vain, Juliette s’est tirée…

Desmoulin remonte ses paupières et découvre l’inscription sur la baie vitrée. Il est bien placé pour savoir combien Juliette adore le Chianti. Elle prétend que c’est un de ses ancêtres qui l’a inventé au 13e siècle. Foutaises, oui ! Cette fille dit n’importe quoi pour se rendre intéressante, alors qu’elle a bien d’autres atouts. Se pourrait-il que Desmoistier y ait aussi succombé ? Mais alors, de quoi aurait-il eu une telle peur au point de succomber ? Rêvant encore aux derniers moments passés avec elle, il songe : « Juliette a des charmes, c’est sûr. Mais de là à faire peur ? Et pourquoi ? »


L’inspecteur Desmoulin mâchonne son bâtonnet de réglisse en ruminant... affaire complexe... Il ne peut pas imaginer Juliette en meurtrière... Quel mobile ?... Par principe, il a du mal à se dire qu’il a partagé son lit et de délicieuses nuits avec une femme qui le narguerait après en trempant dans un homicide, même comme appât. Sa fierté professionnelle, ou une certaine partie de son anatomie , se refuse à admettre une telle option. Même si la piste de l’histoire de cul le trouble? Un mari trompé et jaloux ? Le crime passionnel ? Écœurant de banalité.
Son antipathie pour le restaurateur l’emporte sur la lassitude des années de fouilles dans la merde humaine et réveille son instinct de limier. Au boulot.

Il convoque le sommelier Jean Dupoil, collaborateur et ami proche de la victime. Ils partageraient des filles de temps à autre, dit la rumeur.
Dupoil, un petit homme brun et commun, l’œil humide et la moustache tombante, un peu ratatiné, est pourtant tout le contraire de Desmoistier.
-    Vous qui êtes de la branche, cette histoire de Chianti sur la vitre, ça vous dit quelque chose ?
-    Euh, c’était son vin préféré.
Rien à en tirer. Il essaye de se faire discret et anodin, encore plus qu’il ne l’est par son physique.

« Ce Dupoil joue aux cons, faut creuser, il en fait trop, et c’est bien connu, les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît3 », assène Desmoulin en lâchant son bâtonnet de réglisse et en le remplaçant par une Marlboro. L’adjoint de l'inspecteur comprend le message et murmure « OK, je lance les recherches, chef » en s’éclipsant.

Deux heures et quelques cafés plus tard, le cendrier est plein sur le bureau et Vanulle fait entendre un toc toc discret. « J’ai reçu la réponse de la Crim. Vous aviez raison, ce Dupoil a un casier. Condamné pour proxénétisme et trafic de produits de luxe en 2012. Mais il n’a passé que quelques mois en prison, a été étonnamment gracié par le ministre de la Justice de l’époque, Di Giorgio, un grand amateur de vin ».


« Tiens, tiens, il semblerait que le vin soit le dénominateur commun dans tout ce bordel », murmure Desmoulin. Il lève la tête et croise le regard de son adjoint Vanulle.
« Je vais prendre l’air. En attendant, trouve le lien entre Jean Dupoil, le sommelier de Desmoistier, et Di Giorgio, le Ministre de la Justice qui l’a épargné il y a 8 ans : de la même famille ? une pute qui les fait chanter ? un contrat de vin juteux et pas net ? »
Desmoulin sort et rajuste son imper. Vent et pluie, bravo l’idée de la balade. Il veut se griller une Marlboro, mais les éléments sont contre lui et il y renonce. Il avance tête baissée sur le trottoir et percute de plein fouet une jeune femme pressée qui se rend manifestement au commissariat.
-    Oh, excusez-moi !
-    Juliette ! Qu’est-ce tu fais là ?
-    Je…
-    Tu sais qu’on te cherche depuis ce matin ?
-    Oui, je sais, c’est pour ça que je viens ici.
Il perd un instant le fil de ses idées. Putain, qu’elle est belle ! Pourquoi ça n’a pas marché entre nous ?
-    … et j’ai eu peur, je me suis enfuie.
-    Hein ?
-    Je disais, Desmoistier m’avait donné rendez-vous au resto, après sa fermeture, reprend-elle patiemment. Mais je ne suis venue que beaucoup plus tard, car j’avais une séance de photos à faire, pas loin. J’étais bien habillée, jupe, talon aiguille, tu vois le genre…
-    Tu portais tes escarpins verts ?
-    Euh… oui… tu le sais comment ?
-    Mon métier, bougonne-t-il. Et ?
Une bourrasque de vent particulièrement mauvaise oblige le couple à se réfugier sous un porche d’immeuble.
-    J’ai sonné. Pas de réponse, poursuit Juliette. Je suis passée par la petite clôture de derrière qui n’est jamais fermée. La porte de service était ouverte. Dans la salle arrière, je l’ai vu… pendu. Il y avait un papier épinglé sur son torse : « Cassé !4 » y était écrit.
L’inspecteur sort de sa poche un bâton de réglisse entamé et le grignote distraitement.
-    On n’a pas retrouvé ce papier sur lui. Il t’avait donné rendez-vous… Donc il ne s’est pas pendu tout seul.
-    Tu as vu l’inscription en rouge sur la vitre ?
-    Euh non, je n’ai pas fait attention.
Juliette grelotte maintenant, son fin manteau ne la protège pas contre ce temps maussade. L’inspecteur se retient de la serrer dans ses bras pour lui communiquer sa chaleur mâle.
-    Encore une question. Comment tu le connais, Desmoistier ?
-    Desmoistier ? Mais c’est le meilleur ami de Jean.
-    Jean Dupoil ? Ben oui, je l’sais. Et alors ?
-    Jean est mon frère, enfin, mon demi-frère.


Juliette resserre le col de son manteau et lance un regard oblique en direction de Desmoulin. Elle retient son souffle une seconde. Doit-elle tout déballer, là, sous le porche ? Et puis son regard s’arrête sur le bâton de réglisse suintant entre les dents brunes de l’inspecteur, remonte vers ses yeux qui la dévorent littéralement. Un frisson la fait tressaillir et ce n’est pas de froid.
Desmoulin sort de sa léthargie passagère et réagit mollement : « Ton demi-frère ? Tu te fous de moi, là ? » Juliette prend une profonde inspiration et balance : « Ben non. Mais j’hallucine ! Si tu es capable de savoir que je portais mes escarpins verts, tu aurais dû faire le lien entre Jean Dupoil et moi. » L’inspecteur recrache le bâton de sa bouche, tout charme rompu. Il éructe : « Tu vas pas me la jouer encore à l’envers. Tu disparais et puis tu réapparais. Tu souffles le chaud et le froid. Et maintenant, tu fais la leçon ! Je t’arrête. Une nuit en cage te remettra les idées en place. » Le flic la menotte, les mains dans le dos. Juliette frissonne, de froid cette fois. Son manteau s’est entrouvert et la pluie s’insinue dans son décolleté.
« Vanulle ? Vanulle ? Regarde un peu le poisson que j’ai ferré ! » Desmoulin est en colère et pousse sans ménagement la jeune femme dans une cellule, un vrai cloaque puant. L’adjoint qui s’est précipité à l’appel de son supérieur interroge celui-ci d’un regard. « Elle fait la maline, mais elle n’a pas d’alibi. Mieux, elle était sur place à l’heure du meurtre et sa disparition ces dernières heures vaut aveux. Au trou, elle retrouvera peut-être la mémoire. » Les deux hommes s’éloignent et éteignent la lumière.
Juliette clignote des yeux. La veilleuse de secours n’est pas bien forte et l’odeur âcre d’urine et de vomi l’assaille de plus belle. Elle s’assied sur la banquette de ciment dure et froide. Décidément, ce n’est pas sa semaine. La fatigue commence à se faire sentir. « Il faut que je dorme un peu. » Elle pressent à quel point les heures risquent d’être longues à son réveil.
Elle a à peine fermé les yeux que des images cauchemardesques et ricanantes s’invitent dans son sommeil. Elle se voit traverser le restaurant de Desmoistier, nue, au bras de son demi-frère. Celui-ci éclate de rire au moment de sabrer le Chianti dont le bouchon n’est autre que la tête de sa demi-sœur. Une longue trainée du breuvage barre la vitrine d’un trait rouge carmin. Elle roule au sol et aperçoit le restaurateur pendu et hilare dans son salon pendant que Di Giorgio le ministre de la justice, les yeux bandés, lui agrippe les cheveux en criant : « J’adore l’odeur du napalm au petit matin !5 »

Suite et fin (provisoire ?) ici !

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1 Réplique culte du film « Le silence des Agneaux »
2 Réplique culte du film « Le Corniaud »
3 Réplique culte du film « Les Tontons flingueurs »
4 Réplique culte du film « Brice de Nice »
5 Réplique culte du film « Apocalypse now »

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